LA VÉRITÉ AVANT LA RÉCONCILIATION

Introduction

Je demande aux chefs de m'appuyer pour être le prochain Chef national de l'APN, car je crois que nous sommes à la croisée des chemins pour l'avenir des droits inhérents, ancestraux et issus des traités des Premières Nations au Canada.

Comme plusieurs chefs nationaux précédents, je n'ai jamais été chef d’une communauté, mais j'ai travaillé en étroite collaboration en tant que conseiller en matière d'analyse des politiques, de planification communautaire et de soutien aux négociations avec de nombreux chefs de communautés, présidents de conseils tribaux, dirigeants d’organismes provinciaux-territoriaux ainsi qu’avec deux anciens chefs nationaux de l'APN.

Le thème de ma campagne est « La vérité avant la réconciliation » parce que je ne crois pas que la Commission de vérité et réconciliation et ses appels à l'action soient suffisants pour aborder la colonisation que nous avons historiquement vécue et qui se poursuit aujourd'hui, en particulier avec les politiques et les lois coloniales adoptées en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le gouvernement Trudeau s’est approprié notre terminologie, comme par exemple l’expression « nation à nation » et « réconciliation » et l'utilise de façon inappropriée à ses propres fins. Le premier ministre veut se concentrer sur sa version de la « réconciliation » tout en ignorant la « vérité » des lois, des politiques et des pratiques racistes et coloniales contemporaines du Canada.

De la Loi sur les Indiens au Livre blanc de 1969 sur la politique des Indiens, au « Buffalo Jump des années 1980 » à la suite de la loi du gouvernement libéral de Jean Chrétien et maintenant les 10 principes du gouvernement Trudeau, la dissolution du ministère des Affaires indiennes et le « cadre » pour définir les « droits » dans la législation, le gouvernement du Canada a mis en œuvre un plan visant à mettre fin à nos droits sacrés, ancestraux, collectifs et issus de traités historiques.

Je crois maintenant que l'APN a perdu le contrôle de l'ordre du jour et a permis au gouvernement Trudeau de définir nos « droits » à travers son gouvernement fédéral, ses revendications territoriales et ses politiques fiscales.

Alors que le premier ministre et ses ministres disent aux chefs qu'ils n'utilisent pas la politique fédérale de « droit inhérent » ou leur politique de revendications globales, au moins un conseiller juridique chevronné en Colombie-Britannique a déclaré publiquement que le gouvernement fédéral n'a pas changé sa position niant les droits des Premières Nations devant les tribunaux et ce gouvernement n’a pas non plus changé ses mandats de négociation aux tables et ce, sans même parler de l'approbation du barrage du site C et de l'expansion de l’oléoduc de Kinder Morgan sans le consentement préalable, libre et éclairé de toutes les Premières Nations touchées.

Par conséquent, en tant que candidat au poste de chef national, je présente ici mes priorités et mon approche aux chefs et aux peuples des Premières Nations.

 

1. La protection de la Terre-Mère, des terres, des cours d’eaux et du climat est conforme aux instructions fondamentales du Créateur.

De nos terres communautaires à nos paysages territoriaux écologiques et culturels, tous les peuples autochtones ont reçu des instructions fondamentales sur nos responsabilités de protéger nos terres et nos cours d’eaux pour les générations futures de toutes les formes de vie.

Depuis les années 1980, même les Nations Unies ont reconnu que les processus biologiques de la Terre-Mère sont touchés par les activités de développement humain à l'échelle mondiale, c'est pourquoi les accords mondiaux sur le changement climatique et la biodiversité ont été signés par la plupart des pays.

Cela a conduit à un faux débat entre le développement et la protection de l'environnement, en partie parce que les Premières Nations ont été exclues de l'équation. L'accès et les bénéfices tirés des terres, des territoires et des ressources partagés doivent être fondés sur des compétences claires qui englobent les gouvernements des Premières Nations et qui appliquent la norme du consentement préalable et éclairé des peuples autochtones. Cela devrait inclure la prise de décisions qui incorpore des examens environnementaux efficaces et une surveillance conforme aux connaissances autochtones et aux lois autochtones. Cela inclut également la protection de l'environnement dans nos communautés: l'eau potable et des infrastructures sécuritaires et durables.

 

2. La mise en œuvre de l'autodétermination des Premières Nations doit être fondée sur les droits ancestraux et issus des traités, conformément aux normes et principes internationaux.

Nous nous sommes battus pour obtenir la reconnaissance internationale de nos droits et de nos normes internationales, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Mais les approches actuelles des « droits et de la reconnaissance » visent à détourner et à domestiquer ces gains importants et à maintenir nos nations sous le joug des gouvernements fédéral et provinciaux.

Nous devons travailler à l'élaboration d'une approche qui met de l’avant nos droits ancestraux et inhérents comme base de notre renouvellement en tant que nations. Il faut une approche de discussion et de négociation qui soit fondée sur la reconnaissance et le respect des droits plutôt que sur le déni et l'extinction, soit une approche qui dit qu'il n'appartient pas à la Couronne de dicter les règles d'engagement. Ces règles devraient réellement être réciproques et fondées sur une relation de nation à nation. C'est ce sur quoi les traités historiques étaient fondés, notamment les traités des Maritimes antérieurs à la Confédération, le Traité de Kahnawake, le Traité de Niagara, les Traités Robinson et les traités numérotés.

 

3. Nos terres et nos ressources sont fondamentales pour le renouvellement des Premières Nations

Les Premières Nations ont aujourd'hui le contrôle sur moins de 0,2% de la base terrestre du Canada. Cette dépossession est la cause de notre pauvreté et de notre sous-développement. Les normes internationales, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, exigent la restauration des terres, des territoires et des ressources volées aux Premières Nations, ou la restitution des terres, des territoires et des ressources perdues.

Les politiques existantes de « revendications territoriales » ne le font pas, et ces politiques ne sont pas transparentes ni conformes aux normes internationales. Nous devons travailler vers des approches authentiques qui fournissent à nos nations une part suffisante de nos terres pour prospérer. Seul le fait de discuter avec le Canada ne résoudra rien, puisque ce sont les provinces qui contrôlent une grande partie de nos terres. Nous devons élaborer une stratégie visant à faire en sorte que les provinces et les territoires fassent ce qui est nécessaire pour appuyer la mise en œuvre des normes internationales et la restauration des terres et des ressources traditionnelles. Il faudra des approches créatives à des questions comme la compensation et la juridiction.

 

4. Autonomisation de nos enfants et de nos jeunes

L'œuvre inspirante de Cindy Blackstock et de son organisation, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, a contribué à des changements systémiques importants pour l'avenir de nos enfants et de nos jeunes, mais nous avons besoin de beaucoup plus d'efforts pour bâtir sur le travail infatigable de Cindy Blackstock.

L'héritage des pensionnats, la rafle des années 60 et maintenant l'appréhension systémique et généralisée de nos enfants et de nos jeunes par les services provinciaux à l'enfance et à la famille doivent être stoppés!

Le lien à faire entre les enfants et les jeunes des Premières Nations placés dans le système de protection de l'enfance, les jeunes placés dans le système des centres jeunesse, et les individus qui se retrouvent dans le système de justice pénale, entraîne une surreprésentation de nos peuples des Premières Nations dans le système correctionnel, ce que certains décrivent comme un « continuum du berceau à l'incarcération »!

Le système canadien raciste, colonial, le vol de terres, le renvoi forcé à des petites réserves où il est souvent impossible de prospérer au plan économique, l'appauvrissement qui en résulte et la politique et la législation imposées niant la compétence des Premières Nations sur nos enfants, les jeunes et les familles sont les causes profondes de la perturbation des familles au sein de nos communautés et de nos nations.

Les liens entre la protection de l’enfance, la justice pénale et les systèmes correctionnels constituent un processus d'assimilation beaucoup plus efficace de nos peuples des Premières Nations que même les pensionnats n'auront jamais égalé !

Comme quelqu'un qui a vécu l’expérience des foyers d'accueil en tant qu'enfant et ayant même été placé dans un orphelinat à un moment donné, je comprends parfaitement comment nos communautés et nos nations ont perdu autant d’enfants et de jeunes. Nous devons faire en sorte que le retrait d’enfants et de jeunes et la surreprésentation de nos peuples des Premières Nations en prison deviennent des priorités pour faire changer les choses !

Les jeunes autochtones sont des jeunes leaders résilients qui continuent de persévérer et de prospérer, malgré les effets du colonialisme et de la colonisation qui se sont poursuivis en raison de la dépossession de nos terres et des répercussions intergénérationnelles des pensionnats indiens. Offrir aux enfants et aux jeunes autochtones des possibilités de régénération culturelle aide à inculquer la confiance et à renforcer leur identité par le biais de diverses activités qui répondent inévitablement aux problèmes sociaux qui les touchent.

Pour bâtir une culture d'espoir, de résilience et de force chez les enfants et les jeunes autochtones, nous devons les écouter, les croire et les soutenir dans leur identité propre. Des initiatives volontaristes et positives d'autoresponsabilisation aident à bâtir des identités solides tout en offrant une place d'appartenance aux jeunes autochtones dans nos collectivités en tant que nouvelle génération de bâtisseurs de nos nations.

Les nombreux indicateurs sociaux négatifs dans nos communautés sont le résultat direct de notre dépossession et de notre colonisation. Les inquiétudes au sujet des suicides chez les jeunes indiquent la nécessité de promouvoir l'espoir, la confiance et une place plus positive pour eux au Canada, en s'appuyant sur le soutien des citoyens canadiens qui sont de plus en plus sensibles aux répercussions des pensionnats indiens et du colonialisme.

 

5. Protection de nos femmes et de nos filles

Le renforcement des Nations autochtones exige que les femmes et les filles autochtones soient au cœur de tout processus de gouvernance et de prise de décisions. Réenvisager la façon dont nous gouvernons, conduisons et progressons dans nos nations doit inclure de démanteler et de rebâtir des structures qui excluent les femmes et les filles autochtones. Pour véritablement défendre la protection des femmes et des filles autochtones, il faut sensibiliser les structures systémiques institutionnalisées à propos du racisme, de la marginalisation, de la pauvreté et des impacts coloniaux intergénérationnels qui normalisent la perpétuation des violences à l’égard des femmes. L'inclusion d'une analyse intersectionnelle et centrée sur le genre autochtone dans le développement des programmes et l'élaboration des politiques régionales et nationales devrait être envisagée.

L'Enquête fédérale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues (EFFADA), pour plupart des normes acceptables, a été un processus mal géré depuis le début. Les termes de référence restreints qui excluent la police et le manque de respect manifesté à l'égard de nombreuses victimes et de leurs familles sont inacceptables. Cette Enquête devrait être conclue le plus rapidement possible et la Commission doit publier son rapport. À la suite du rapport de la Commission d’enquête, une stratégie nationale et régionale devrait être élaborée, avec des échéanciers concrets, avec des ressources appropriées et un financement doit être alloué pour traiter des initiatives fondées sur des solutions qui visent à réduire et à prévenir la violence contre les femmes et les filles autochtones.

Pour mettre de la pression à la suite de la publication du rapport de la Commission d’enquête, une invitation à divers mécanismes des Nations Unies en matière de droits de l'homme devrait être envisagée pour examen externe en regard des conclusions du rapport afin d'assurer que les résultats et la voix des femmes autochtones et les filles soient captées avec précision pour permettre des changements systémiques durables. Plus précisément, une invitation devrait être adressée au « Rapporteur spécial chargé de la violence contre les femmes, ses causes et conséquences » des Nations Unies pour se rendre au Canada afin de mener une étude externe sur les violences à l'égard des femmes et des filles autochtones.

 

6. Édification des nations et réforme de l'APN

Renouveler et reconstruire nos nations prendra du temps et des efforts. Des choses comme le statut indien, les réserves et les frontières provinciales et territoriales ont influé sur nos nations traditionnelles et notre organisation sociale et politique. Ces éléments ont créé des intérêts que nous aurons à reconnaître et à assumer si nous voulons sérieusement renouveler nos nations et nos institutions politiques.

Les efforts actuels qui sont censés viser le renouvellement de nos nations semblent surtout viser à créer des unités de prestation de services plus efficaces pour administrer les programmes fédéraux et provinciaux. La réforme de nos institutions politiques doit avoir lieu à tous les niveaux.

La Fraternité nationale des Indiens et l'Assemblée des Premières Nations ont commencé en tant qu'organisations de défense des droits et des intérêts des Premières Nations. Ils ont emprunté une pente glissante au fil des ans au point où la défense des intérêts et la lutte pour la reconnaissance des droits a cédé la place au « partenariat » et à la politique des partis. Cette approche compromet la capacité de l'organisation nationale à défendre adéquatement les droits et les intérêts des Premières Nations.

À l'heure actuelle, l'APN est une organisation de chefs, elle n'est pas une organisation du peuple, la structure et le rôle de l'APN doivent s'adapter aux changements de nos communautés et de nos nations à partir de la base. En outre, l'APN ne respecte pas sa propre Charte, qui a grand besoin d’être réformée.

Le rôle de l'APN devrait être de défendre nos intérêts faire du lobbying à Ottawa via une structure de leadership décentralisée à laquelle doivent contribuer des leaders traditionnels et nos peuples à la base. Il est également essentiel que l'APN soutienne nos peuples sur le terrain, tels que les défenseurs des terres et les protecteurs de l'eau qui se tiennent debout devant l'expansion proposée de l’oléoduc de Kinder Morgan et qui exigent que soit respecté le droit internationalement reconnu des peuples autochtones au consentement libre et éclairé devant tout développement sur les terres autochtones.

Si nos Premières Nations se décolonisent vraiment et réellement et que nous attendons des gouvernements de la Couronne qu’ils mettent en œuvre les normes minimales contenues dans la Déclaration des Nations Unies, alors nos chefs et conseils doivent également respecter le droit à l’autodétermination de nos peuples autochtones.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule ce qui suit :

Article 18

Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles. [Emphase ajoutée]

Les « bandes » indiennes et les « conseils de bande » ne sont pas des « institutions de prise de décision autochtones », ce sont des institutions coloniales imposées par le gouvernement du Canada par le biais de sa Loi sur les Indiens, une loi raciste et coloniale en vertu de sa Loi constitutionnelle de 1867.

La façon dont cela est fait doit être largement discutée partout au Canada. Ce qui est certain, c'est qu'en se tenant ensemble et en élaborant un programme autochtone fondé sur nos droits tels qu'ils sont énoncés dans le droit international, nous pouvons faire avancer nos peuples beaucoup plus loin qu'en acceptant passivement la version étroite et égoïste de nos droits du gouvernement fédéral que le leadership actuel de l'APN semble prêt à accepter.

Je crois posséder les compétences, les connaissances et la sagesse accumulées depuis plus de 40 ans en travaillant sur le titre aborigène et les droits issus de traités pour relever le défi de mener ces discussions qui nous permettront d'avoir un avenir beaucoup plus prometteur pour l'ensemble de nos nations.